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Synthesis (La Plata)
Print version ISSN 0328-1205
Synthesis (La Plata) vol.21 La Plata Dec. 2014
ARTÃCULOS
Les mysteres de l âonomastique dans l âHelene dâEuripide
Jacqueline Assaël
Université Nice Sophia Antipolis
Francia
Resumen
En su Helena, EurÃpides teoriza las dificultades de la onomástica: los nombres recubren la identidad de múltiples homónimos o bien un nombre designa muchas esencias de un mismo individuo, como ocurre con la verdadera reina de Esparta y su eÃdolo. Estas observaciones adquieren una significación teatral, pues un personaje como Teucro, mal integrado en la acción si se tratara del famoso arquero homérico, se insertarÃa en un rol muy pertinente si se reconociera en él al meteco que denuncia la parodia de los misterios de Eleusis por AlcibÃades. Además, cierta tradición crÃtica ha distinguido trazos del joven estratega bajo la puesta en escena de la protagonista. La obra de EurÃpides sugiere, de hecho, de manera esotérica, el progreso escénico de una rehabilitación y de una iniciación no solo de Helena sobre el plano de la representación mitológica, sino también de AlcibÃades sobre el plano polÃtico. Por otra parte, el nombre y la función dramática de Teónoe están realmente demasiado cercanos a aquellos de Téano la sacerdotisa de Eleusis citada por Plutarco como la única en haberse negado a maldecir a AlcibÃades, como para que la similitud onomástica sea fortuita.
Palabras Clave: EurÃpides; Helena; AlcibÃades; Misterios de Eleusis; Teucro; Teónoe.
Abstract
In the Helena, Euripides theorizes the difficulties of onomastic: names cover the identities of multiple homonyms or a single name refers to several essences of the same person, as the real queen of Sparta and her eidolon. These remarks take a dramatic significance: a character like Teucer poorly integrated into the action in the case of the Homeric famous bowman, fits in fact into it in a relevant role if one recognizes him as the meteque who denounced the parody of the Eleusinian mysteries by Alcibiades. Anyway a critical tradition distinguished the young strategist in the staging of the protagonist. Euripides' play suggests, in fact, in an esoteric way, the scenic process of rehabilitation and initiation not only of Helena in the context of the mythological representation, but also of Alcibiades politically. For, on an other hand, the name and the dramatic function of Theonoe are really close too much to those of Theano, the priestess of Eleusis quoted by Plutarch as the only one who refused to curse Alcibiades, for being an adventitious onomastic coincidence.
Keywords: Euripides; Helena; Alcibiades; Eleusinian Mysteries; Teucer; Teonoe.
Problèmes de lâonomastique dans lâHélène
Dans lâHélène, le tableau généalogique de Protée dessiné par Euripide est original et étonnant à bien des égards.1 En effet, le poète lui attribue une femme, Psamathé, qui ailleurs est connue pour être celle dâÃaque.2 En outre, il lui invente un fils, qui ne fait habituellement pas partie de sa famille. Paradoxalement, ce rejeton est appelé Théoclyménos, et donc désigné, selon lâétymologie, comme «inspiré par un dieu». Nommé ainsi, Théoclymène est destiné par son père à respecter les lois divines. Ce nom est justifié par une glose lourdement didactique soulignant le rapport établi avec lâexpression de lâidée de piété: «[il le nomma ainsi] car, tant quâil vécut, il honora les dieux».3 Or, dans le drame, après la mort de Protée, son fils bafoue la liberté dâHélène que les dieux ont placée à Pharos pour quâelle y soit protégée et quâelle y attende fidèlement lâarrivée de son époux Ménélas à son retour de Troie. Il lâassiège afin quâelle devienne sa femme. Son comportement ne semble donc pas se conformer à son identité. Le fait est étrange, dans une civilisation où la dénomination détermine, en principe, un rôle ou une personnalité. Par ailleurs, Euripide identifie la fille de Protée sous le nom de Théonoé, tandis que chez Homère elle est appelée Eidothéê, puis Eidô chez dâautres auteurs.4 Lâonomastique est alors manifestement signifiante, car ce nom désigne ce personnage de sage devineresse comme lâincarnation de «lâintelligence divine», et le poète renonce ainsi à la mettre en scène comme une figure «dâapparence» eidos. En définitive, aucun des noms faisant partie de cette généalogie de Protée établie par Euripide ne correspond à la composition de sa famille telle quâelle apparaît dans la mythologie traditionnelle. Or, ces identités ne sont pas attribuées de manière aléatoire, mais elles traduisent nécessairement les intentions particulières que nourrit lâauteur lorsquâil élabore la distribution dramatique de sa pièce.
De fait, la question de la dénomination dâune personne constitue une problématique majeure dans cette pièce où un même nom correspond à plusieurs aspects de lâêtre dâHélène, lâun qui se trouve à Pharos, lâautre à Troie. à ce sujet, lâhéroïne prononce une phrase assez sibylline pour évoquer la pluralité trompeuse des manifestations de sa présence: «Il est possible que le nom se trouve en maints endroits, mais non pas le corps»,5 et à travers le dédoublement nominal du personnage, Euripide introduit une réflexion en quelque sorte «métaphysique» sur lâauthenticité de lâexistence humaine.6
Cependant, dans un assez long monologue exprimant son égarement face à ce phénomène très spécial dâubiquité, Ménélas résout son désarroi en banalisant cette difficulté: «Beaucoup dâhommes, à ce quâil paraît, sur toute la terre, portent le même nom, ainsi que des villes, des femmes⦠Il ne faut donc pas sâétonner».7 Des commentateurs ont dénoncé cette conclusion facile qui ne répond pas à la complexité du cas envisagé.8 En effet, Ménélas est confronté à une somme invraisemblable de coïncidences lorsquâon lui annonce la présence à Pharos dâune Tyndaride, fille de Zeus, venant de Sparte, nommée Hélène, tout comme la créature quâil ramène avec lui de Troie. Effectivement, sa réponse est quelque peu insuffisante. Il faut donc en déduire, soit quâEuripide néglige tous ses devoirs de dramaturge en prêtant ce raisonnement approximatif à son personnage, soit quâil joue sur lâinadéquation de cette réplique pour mettre en relief un autre aspect de la question de lâhomonymie important pour la compréhension de la pièce. Dans cette oeuvre très étudiée, pleine de calculs dramatiques, la seconde hypothèse sâimpose. Ainsi, le poète lancerait un avertissement, créerait une connivence avec son public et mettrait les spectateurs en garde contre toute méprise en les alertant sur les dangers de lâhomonymie. La métaphysique et lâépistémologie seraient alors toutes les deux impliquées dans le jeu théâtral, à propos de cette thématique de lâambiguïté de lâonomastique.
Entendre un tel message amène à rechercher les significations décalées de cette intrigue. Il ne faut dâailleurs pas oublier que la représentation est placée sous le signe de Protée, puisque le drame sâouvre sur le spectacle de son tombeau et de son palais. Or, dans la mythologie, le Vieux de la Mer est capable de toutes les métamorphoses. Il faut aussi tenir compte du fait que lorsque, dans les Thesmophories, Aristophane parodie lâHélène dâEuripide, il en fait la pièce des travestissements: dans son oeuvre qui, pour être parfaitement efficace en tant que pastiche, doit être étroitement reliée à son modèle, la prétendue héroïne est un vieil homme; cet effet nâa peut-être pas seulement une valeur comique. Dâautre part, un personnage des Thesmophories interprète le choix du décor de la pièce située à Pharos selon un type de réaction spontanée à son époque et il signale à travers son commentaire que lâÃgypte est réputée pour représenter le pays de la tromperie.9
Ces divers éclairages, lâinterne et lâindirect, incitent donc à quelque vigilance, à des vérifications et à quelque soupçon dans lâidentification des personnages de ce drame. Car ils suggèrent la possibilité de quelque mystification dans une pièce dont Aristophane révèle à sa manière le rapport avec les secrètes cérémonies initiatiques du culte de Déméter.
Teucros, le métèque dénonciateur, homonyme de lâarcher homérique
Lâintervention de Teucros dans le drame est dénoncée depuis longtemps par les critiques comme inutile. En effet, son passage sur scène est très épisodique et il nâapporte à Hélène que des informations erronées sur le sort de Ménélas, peu après corrigées par les prophéties de Théonoé. à ce propos, lâart dramatique dâEuripide est jugé sévèrement: «Parmi les nombreuses singularités plus ou moins choquantes de cette insolite Hélène, la plus voyante et la moins expliquée jusquâici est encore lâépisode initial de Teucros, qui, après le prologue-monologue, apparaît pour disparaître bientôt mais point assez tôt à notre goût, car nous ne pouvons nous empêcher de trouver bien superflue et languissante sa stichomythie avec Hélène».10 Dâailleurs, parmi tous les autres guerriers retournant de Troie, lâélection que le poète fait de cet archer pour représenter un voyageur abordant à Pharos capable de renseigner lâhéroïne, nâest justifiée par aucun récit mythologique: «Le passage en Ãgypte du fils de Télamon, sa rencontre avec Hélène sont ignorés de la Fable».11 Les motifs de cette escale apparaissent de même comme invraisemblables. En effet, selon la légende, Teucros est chargé par un oracle dâaller fonder Salamine de Chypre et il ne lui serait pas vraiment nécessaire de venir faire confirmer par la prophétesse Théonoé lâorientation de sa navigation, comme il en exprime lâintention. Manifestement, Euripide semble donc inventer un prétexte léger afin dâintroduire ce personnage secondaire dans sa pièce.
Au passage, on peut se demander si, en fait, cette apparente désinvolture ne sâaccompagne pas dâun recours à la mythologie finalement assez fouillé et futé. En effet, le poète ne néglige pas vraiment la cohérence, dans ce domaine, puisque lâapparition de Teucros dans ce drame peut, tout au moins vaguement, se raccorder à lâentrée de Psamathé dans la famille de Protée. Car cette Néréide devient la belle-mère de Télamon, lorsquâelle sâunit tout dâabord avec Ãaque qui lâa eu comme enfant en premières noces avec Endéis.12 Le descendant de Télamon, lâarcher Teucros, fait donc partie de ses proches et de son alliance, et ce statut peut éventuellement expliquer aux spectateurs qui sâen étonneraient quâen abordant dans lâîle, il reconnaisse immédiatement le palais de Protée.13 Mais ce détail est ténu pour fonder la mention de Psamathé dans lâHélène et pour rapprocher Teucros de lâunivers de cette fiction dramatique. Lâalibi est donc quasiment inexistant; il ne peut pas masquer longtemps lâincongruité massive de cette intrusion du fils de Télamon dans la pièce.
H. Grégoire a imaginé une piste de recherche intéressante pour tenter de résoudre la question. Il invoque en effet, dans plusieurs de ses travaux, la possibilité quâEuripide ait utilisé le nom de Teucros en cherchant à suggérer par ce biais à son public une référence à un personnage contemporain, et non plus mythologique: «Il faut donc supposer quelque intérêt dâactualité pour Teucros ou pour Salamine de Chypre, si lâon veut expliquer lââinventionâ du prologue dialogué de lâHélène».14 Son hypothèse, très alambiquée, propose dâinterpréter cette mise en scène comme la célébration, sous couvert de lâidentité de son glorieux ancêtre, dâun fidèle allié dâAthènes, le Teucride Ãvagoras, honoré par décret du titre de bienfaiteur de la cité, à un moment périlleux de la guerre du Péloponnèse où bien dâautres chefs, jusquâalors amis, font défection.15 La démonstration est malaisée et H. Grégoire peine à convaincre de la concordance des dates. En effet, la plupart des historiens situent le commencement du règne dâÃvagoras dans lâannée 410, et sa distinction comme évergète entre 410 et 407. Or lâHélène a été jouée en 412.16 De plus, le rôle joué par ce Teucride dans lâactualité athénienne ne fut pas de premier plan et il ne dut pas marquer tous les esprits. Une allusion indirecte à Ãvagoras nâaurait sans doute pas été très efficace, dâun point de vue théâtral. Cependant, en reportant sur un autre que lâarcher homérique lâenjeu et lâintérêt de la représentation de ce personaje dénommé Teucros, H. Grégoire adopte un principe judicieux, offrant une piste de recherche encouragée par la remarque faussement malvenue de Ménélas sur le phénomène répandu de lâhomonymie.
Or, en 412, la mention du nom de « Teucros » faisait assurément résonner dans les têtes des spectateurs le souvenir, très récent et partagé par tous les Athéniens, du procès intenté par contumace contre Alcibiade à la suite de lâaccusation de parodie des mystères dâÃleusis. En effet, le métèque auteur de la dénonciation impliquant le jeune stratège sâappelait ainsi. Phrynichos en atteste dans une épigramme lancée contre lui, dont un vers est repris par Plutarque dans la Vie dâAlcibiade: ΤεύκÏῳ Î³á½°Ï Î¿á½Ïὶ βούλομαι / Î¼á½µÎ½Ï ÏÏα δοῦναι Ïá¿· Ïαλαμναίῳ ξένῳ«Je ne veux pas quâà Teucros, cet étranger qui a du sang sur les mains, soit donné le prix de la délation».17 Lâarcher fameux, frère dâAjax et fils de Télémon, est un parfait homonyme de cet accusateur dâAlcibiade.18
Euripide prête à Teucros les réactions haineuses envers Hélène dâun guerrier qui a combattu âprement et qui a couru bien des risques pour reconquérir une femme infidèle.19 Mais en voyant un personnage de ce nom cracher sur lâhéroïne, les spectateurs athéniens ne peuvent pas manquer de penser aussi au délateur du disciple dissipé de Socrate, déblatérant contre ses supposées turpitudes. Car, pour les initiés présents dans le théâtre de Dionysos, le rôle de la reine de Sparte représente sans doute le travestissement dâun homme qui nâest autre quâAlcibiade.
à sa manière, Aristophane, dans les Thesmophories, semble encore enrichir et prolonger malicieusement le quiproquo. En effet, dans sa pièce, une espèce de gardien de la paix maltraite la pseudo-Hélène, sous le nom de laquelle se déguise le vieux parent dâEuripide jetant le trouble dans les cérémonies secrètes des fêtes de Déméter, et il sâoppose à sa fuite. Certes, à Athènes, un rôle de police est historiquement attribué à un corps dâarchers scythes, dâailleurs esclaves. Mais en entendant interpeller par ce titre « dâarcher»,20 un personaje qui, muni dâun fouet, semble garantir des intrus le caractère sacré de la cérémonie, comme dans un rite dâexélasis, les spectateurs sont une fois encore astucieusement invités à identifier le métèque Teucros, homonyme de lâarcher homérique, comme le prétendu garant des mystères, contre le sacrilège Alcibiade.21
Hélène comme masque dâAlcibiade, le « caméléon », sur le tombeau de Protée
Personne ne peut manquer dây penser, en effet, car le public de lâépoque nâignore pas non plus les sobriquets donnés au jeune élégant qui représente avec tant dâinsolence la jeunesse dorée dâAthènes. Alcibiade porte des cheveux longs, soigneusement coiffés. Il entretient sa beauté, tout autant que la plus belle des femmes, câest-à -dire Hélène. Dans sa Vie dâAlcibiade, Plutarque a retenu la perception que les Spartiates ont eue de ce stratège qui se montre pourtant capable de vivre la rudesse de leurs moeurs: «Câest bien la femme dâautrefois!» á¼ÏÏιν ἡ Ïάλαι Î³Ï Î½á½µ.22 Dans ces conditions, la pièce dâEuripide pourrait bien se présenter et se construire comme un drame à clés.23
Aristophane révèle en quelque sorte, ou tout au moins suggère, ce fonctionnement et lâapplication de ce procédé, à travers sa propre mise en scène, dans les Thesmophories. à travers la déformation inévitablement caricaturale produite par le poète comique, Hélène nâest plus alors quâun vieux travesti et non plus un jeune homme brillant.
Par ailleurs, un courant de la tradition critique a proposé cette interprétation, notamment en relevant dans lâoeuvre dâEuripide un ensemble de répliques formulées par Hélène qui sâappliquent avec plus de pertinence encore à la situation dâAlcibiade: regrets dâêtre responsable de la mort de tant de guerriers en ayant fait mettre en route une campagne aventureuse qui pourrait être lâexpédition de Sicile et non pas la guerre de Troie e. g. : v. 52-55, impossibilité de revenir dâexil en raison de lâhostilité de concitoyens irrités v. 287-288.24 Le relevé de ces allusions peut paraître assez hasardeux en tant que tel, sans autre fondement, mais il prend une signification plus consistante et davantage dâobjectivité à partir du moment où dâautres éléments de la représentation sâordonnent de manière à signaler certaines caractéristiques connues du personnage dâAlcibiade, à travers des données soi-disant mythologiques rapportées à Hélène ou à son entourage dramatique. De fait, une relation sâétablit entre la pièce dâEuripide et les aventures historiques du jeune stratège, non seulement à travers le miroir proposé par le personnage de la reine de Sparte, mais aussi à travers certains éléments du décor ou de la distribution; ces données paraissent floues et mal adaptées si elles ne sont pas comprises comme des reflets de cette actualité athénienne, mais elles gagnent du relief et de la pertinence dans cette perspective.
En particulier, Plutarque rapporte encore que le jeune chef de lâexpédition de Sicile, passé ensuite aux Spartiates, puis à la cause de Tissapherne, puis à nouveau à celle des Athéniens, avait reçu dans lâAntiquité le surnom de «caméléon».25 Sans attendre la fin de sa carrière, ses concitoyens, à lâépoque où est représentée la pièce dâEuripide, ont dâores et deja eu lâoccasion de percevoir le caractère changeant du personnage, tantôt soutien de la démocratie, tantôt allié dâun régime oligarchique. Or, la mise en scène de lâHélène sâouvre sur la vision du tombeau de Protée, cet être étrange capable de se métamorphoser de manière inattendue en eau ou en feu, en lion ou en arbre.26 Les spectateurs du Vème siècle sont ainsi inévitablement incités à repérer un rapport entre le personnage dâHélène, agrippé au monument funéraire dédié à une créature légendaire « protéiforme », et Alcibiade, le «caméléon », qui cherche lui aussi à sâadapter à toutes les situations afin de se sauver des dangers. Toutefois le lien sâétablit à travers lâintroduction dâun tiers, en la personne du Vieux de la Mer, et à travers lâévocation de son tombeau, en lieu et place dâun autel divin protégeant la supplication de lâhéroïne. Ces rapprochements complexes et ces bizarreries scéniques doivent pouvoir trouver une justification et sâéclairer en fonction des symboliques et des systèmes de pensée contemporains auxquels Euripide se réfère nécessairement.
Si Hélène désigne Alcibiade dans le travestissement dâune oeuvre à clés, un «caméléon » sâattache donc au tombeau de Protée au début de la pièce. Dâune certaine manière, le personnage qui se tient sur le monument funéraire et qui refuse de sâen arracher reflète ainsi la personnalité du mort qui est enseveli. Alors, de même quâil existe deux Hélène, selon la version particulière du drame illustrée par Euripide, lâune à Troie, lâeidôlon, et lâautre à Pharos, la «véritable» Hélène qui sera réhabilitée puis promise à lâimmortalité, une gémellité se constitue aussi autour du tombeau de Protée sous lâidentité masquée de cet Alcibiade changeant qui se trouve à la fois sur et dans le monument funéraire.27 Si, dâautre part, il existe un rapport dâéquivalence entre Hélène et la représentation dissimulée dâAlcibiade, il serait logique que la dualité établie entre les deux aspects de chacun des personnages soit de même nature, lâun des deux aspects figurant dans chaque cas lâinconsistance éphémère dâune mortalité impure, lâautre illustrant la substance pérenne de lâêtre tentant de se dégager de toute souillure.28
Précisément, lâimage du caméléon rappelle la symbolique du saurien intervenant dans les premières phases du rituel dâÃleusis comme la manifestation grossière des formes de lâêtre quâil sâagit de sublimer au cours de lâinitiation.29 Par ailleurs, dans le même ordre dâidées, dans les hymnes orphiques la silhouette de Protée se transforme selon des configurations diverses de la substance initiale de la vie, à travers le dessin des espèces composant le règne animal ou végétal. Lâindistinction de lâêtre infini, à laquelle il faudra revenir, est ainsi abolie:
Î ÏÏÏÎα [...]
ÏÏÏÏογενá¿, ÏάÏÎ·Ï ÏÏÏεÏÏ á¼ÏÏá½°Ï á½Ï á¼Ïηνεν
á½Î»Î·Î½ á¼Î»Î»Î¬ÏÏÏν ἱεÏὴν ἰδÎÎ±Î¹Ï ÏÎ¿Î»Ï Î¼ÏÏÏοιÏ«Protée [â¦],
Dieu primordial qui fit apparaître la nature originelle,
en transformant la matière sacrée par les visions de ses métamorphoses».30
Dans une anthropologie quelque peu fantastique, toutes les métamorphoses possibles de la «matière première» qui constitue les vivants adviennent donc sous le nom de Protée. Le Vieux de la Mer est ainsi un personnage qui prend une forme, quelle quâelle soit, et qui introduit lâessence de lâêtre «la matière sacrée», á½Î»Î·Î½ ἱεÏὴν dans une existence concrète, délimitée et dégradée. à la suite de la représentation homérique, une tradition philosophique interprète ainsi la fonction symbolique de ce personnage mythologique, comme Eustathe en atteste.31 Protée règne dans lâordre des «phénomènes» á¼Ïηνεν, quâil faut transcender pour parvenir à un accomplissement suprême de lâhumain.
En plus de cette représentation animale, par le caméléon, de lâépaisseur de la matière, la situation dâAlcibiade qui, sous les traits dâHélène, sâagrippe au tombeau de Protée sans réussir à se défaire de cet attachement à des restes mortels, figure lâétape dâune évolution humaine que lâinitiation éleusinienne doit permettre de dépasser. En effet, dans les doctrines pythagorico-orphiques de la Grèce, lâascèse suivie par les mystes doit aboutir à leur faire prendre conscience de la grossière matérialité de lâexistence terrestre, de manière à les amener à se détacher du corps, afin de parvenir à une émancipation de lââme.32
Selon ce type de pensée, lâimage et lâattitude dâHélène gisant sur la sépulture du roi défunt quâelle entoure désespérément de ses bras imitent celles de lââme humaine, ce mollusque qui ne parvient pas à se dissocier de sa coquille quâest le corps, autrement nommé par Platon: «le tombeau» Ïῶμα Ïá¿Î¼Î±, agrippé au rocher ou à lâîle Pharos en lâoccurrence où il est exilé. Lâésotérisme de cette représentation utilisée par Platon est explicité notamment par Plutarque.33 Cette thématique de lââme enfermée dans sa coquille comme dans un tombeau est aussi associée à la représentation dâune autre de ces divinités marines, informes, des métamorphoses. En effet, Platon illustre plus longuement sa pensée par une image évoquant la silhouette de Glaucos, autre Vieux de la Mer, figure équivalente à Protée dans ses fonctions mythologiques. Pour décrire lâétat de lââme encore unie au corps, il use alors de cette comparaison: «nous la contemplons dans le même état que ceux qui voient Glaucos le marin. Il ne serait plus guère possible de reconnaître sa nature primitive; car des anciennes parties de son corps les unes sont cassées, les autres usées et totalement abîmées par les vagues, tandis que de nouvelles sây sont ajoutées, des coquillages, des algues, des pierres, de sorte quâil ressemble plus à nâimporte quelle bête sauvage quâà ce quâil était par nature».34 Lâenjeu de la démonstration philosophique consiste à proposer une voie permettant à lâessence originelle et pure de lâêtre de sâextraire de toute forme matérielle, de ce dur carcan, de ces concrétions qui lâenferment.
Une telle interprétation appliquée à la mise en scène dâEuripide produit une justification précise du choix alors pertinent que le poète fait du tombeau de Protée comme lieu prétendument de refuge pour Hélène. Car ce décor est insolite, en la circonstance.35 Des exemples correspondant à une telle pratique de supplication dans lâenceinte dâune sépulture peuvent éventuellement être repérés dans le cadre de la religion égyptienne notamment,36 mais cette réalité nâocculte pas le fait que Ménélas lui-même souligne combien cette scène est inattendue: «Nây avait-il pas dâautel? ou est-ce une coutume des Barbares?»37 Hélène lui apporte une explication satisfaisante pour un public profane, en affirmant que le tombeau de Protée possède une vertu comparable à celle dâun sanctuaire; mais lâétonnement et lâinterrogation de Ménélas suscitent la connivence des initiés pour lesquels un tombeau nâest quâun abîme destiné à engloutir licitement la matière physique, mais non pas à attirer les élans dâune âme consciente de la qualité supérieure quâelle doit atteindre et du parcours élevé quâelle doit effectuer.
Euripide propose donc à des spectateurs éclairés cette belle ouverture mystérique de la pièce qui leur montre lâétat dâune Hélène en recherche de purification, appelée à encore progresser, aidée par la venue de Ménélas, pour se dégager de cet attachement aux formes terrestres de lâexistence et sâenvoler vers la substance immortelle de lâÃther dans lequel elle sera divinisée.38 Subrepticement, à travers lâambivalence de la représentation, le poète suggère aussi, dans une perspective politique et pratique qui se superpose à lâillustration littéraire et religieuse, lâimage dâun Alcibiade auquel il faudrait donner la chance de se racheter de ses impiétés et de ses trahisons afin dâêtre un jour accueilli en gloire dans la cité athénienne.39
Théonoé comme masque de Théanô
Lâintervention du personnage de Teucros, le métèque dénonciateur, signale quâEuripide entend faire allusion, dans cette pièce, à lâaffaire de la parodie des mystères dâÃleusis. Dâautre part, lâidentification dâAlcibiade sous les traits dâHélène actualise aussi lâintérêt de lâorientation initiatique conférée au parcours dramatique des personajes mythologiques en chemin vers lâimmortalité. De plus, les secrets de lâonomastique, dans lâHélène, révèlent au moins encore une autre référence majeure faite au contexte éleusinien, à travers lâemploi du nom de Théonoé. Le systématisme de ce type de procédé renforce lâinterprétation de la pièce comme une oeuvre à clés.
En effet, a priori, le nom donné à la prophétesse résonne étrangement, dans la pièce, puisquâil ne se rattache à aucune généalogie de Protée connue par ailleurs. Mais le poète ajuste les données mythiques en fonction de ses objectifs. Une fois encore, une réplique est introduite dans le texte pour alerter le public et pour lâéclairer sur un détail significatif. En effet, en entendant nommer Théonoé, Ménélas remarque: «Ce nom est un oracle!»40 Or, de son côté, Plutarque indique que la seule prêtresse dâÃleusis qui a refusé de condamner Alcibiade à mort, à la suite de lâaffaire de la parodie des rituels, portait le nom de Théanô.41 Décidément lâhistorien semble retenir et recueillir dans sa Vie dâAlcibiade des éléments commentant directement les aspects mystérieux de lâHélène dâEuripide. Car la proximité des deux noms propres Théonoé et Théanô est trop grande pour être fortuite.
En outre, les variations vocaliques ne sauraient masquer la similitude des comportements et lâéquivalence des rôles, dans ces dramatiques parallèles qui se déroulent dâune part au théâtre et dâautre part dans le récit historique. En effet, la prophétesse de Pharos refuse, en définitive, de trahir lâarrivée secrète de Ménélas auprès de son frère, comme ce serait son devoir familial et civique, en quelque sorte; elle déclare vouloir agir au nom de la haute idée quâelle se fait de sa vocation religieuse et «abriter dans sa nature un Auguste sanctuaire de la justice».42 Dans lâalternative qui sâoffre à elle, en vertu de laquelle il lui faut choisir entre apporter son soutien à Héra souhaitant manifester sa bienveillance envers Hélène et Ménélas et les sauver ÏῶÏαι, v. 882; εá½ÎµÏγεÏεá¿Î½, v. 1005 ou à Aphrodite cherchant à les perdreδιαÏθεá¿Ïαι, v. 884, elle se détermine en faveur du respect de la piété et de la vie. Pour sa part, de la même façon, la prêtresse sâexprimant dans le texte de lâhistorien affirme lâidéal de ses valeurs qui lui fait préférer la mansuétude à lâaspect meurtrier de la vengeance. Elle déclare être «prêtresse pour la prière, et non pas pour la malédiction»ÏάÏÎºÎ¿Ï Ïαν εá½Ïῶν, οὠκαÏαÏῶν á¼±ÎÏειαν γεγονÎναι.43
Certains commentateurs ont pu douter de lâhistoricité du personnage de Théanô. En effet, C. Sourvinou-Inwood a développé la thèse selon laquelle une telle prise de position aurait été anachronique dans lâétat de la société grecque et de lâordre religieux du Vème siècle, mais nâaurait pu se concevoir quâà lâépoque de Plutarque.44 Littérairement, en imaginant le rôle de cette prêtresse qui, en tant que telle, se veut souveraine dans ses décisions, Euripide dément ce jugement porté sur le degré dâévolution de la pensée athénienne. De toute manière, cette objection ne nuit pas, fondamentalement, à lâinterprétation des particularités de lâonomastique remarquables dans la pièce dâEuripide. En effet, si lâhistoire de Théanô, la prêtresse à la grande âme amnistiant Alcibiade, a été forgée par Plutarque, alors lâattitude de ce personnage, représenté précisément sous ce nom qui rappelle celui de Théonoé, a dû être inspirée à lâhistorien antique par le souvenir de lâHélène. Ainsi, même a posteriori, les indications de Plutarque éclairent la cohérence du système des noms et dâune distribution qui, dans la pièce dâEuripide, sâorganisent autour de la spiritualité dâÃleusis.
Il serait toutefois improbable que, dans une oeuvre où certains personnages renvoient à lâactualité, Euripide invente gratuitement une figure qui sâen abstraie.45 De plus, si Hélène dissimule lâidentité dâAlcibiade, le poète a tout spécialement besoin dâune figure éleusinienne pour rejeter lâidée de sa condamnation. Des réserves ont, semble-t-il, été exprimées par le clergé de Déméter, au moment de la proclamation de la malédiction proférée par lâétat athénien contre Alcibiade.46 En tout cas, au théâtre, sans doute pour le plus grand plaisir du stratège-caméléon, elles sont portées par une femme, par «lâesprit divin» de Théonoé, alias Théanô, selon Plutarque.
Conclusion
Cette pièce paraît bien avoir un statut particulier dans le théâtre dâEuripide, car de manière tout à fait exceptionnelle, le poète en annonce la mise en scène dès les Dionysies de lâannée précédente, dans les derniers vers de lâÃlectre, comme sâil lui tardait de communiquer son projet, comme sâil sâinscrivait dans une actualité brûlante. La parodie que produit Aristophane lâannée suivante, en 411, dans ses Thesmophories apporte un écho décalé qui situe lâintérêt de cette oeuvre dans le contexte des fêtes de Déméter. Ces données donnent des indications pour interpréter cette pièce étrange que les critiques ont du mal à classer parmi les tragédies ou les comédies.47
En fait, lâHélène se présente en quelque sorte comme un drame ésotérique, au cours duquel, au prix de la dissipation des vapeurs inconsistantes de son eidôlon, lâhéroïne parcourt un chemin vers lâaccession à lâessence dâune âme régénérée.48 Mais par ailleurs, la pièce se définit aussi comme une oeuvre dâactualité. Sans doute faudrait-il être initié aux cérémonies dâÃleusis pour percevoir toutes les intentions de lâauteur, mais il est tout au moins nécessaire de lire la pièce à un double niveau, celui de la symbolique mystérique du mythe et celui des réalités contemporaines. Dâailleurs, les deux plans finissent par se confondre, car en cette période, Athènes bruisse des conséquences de cette affaire concernant Alcibiade et sa supposée parodie des rituels religieux. Le jeune chef de guerre a dû sâexiler et la cité a perdu un atout dans ce combat contre Sparte. Certains, comme Euripide, le regrettent. Le poète quant à lui suggère quâil serait bon de donner à Alcibiade, comme à Hélène, la possibilité de sâamender, de se réhabiliter et dâaller au bout dâun véritable chemin dâinitiation. à travers la mise en scène de Théonoé, il rappelle aussi la vraie vocation dâÃleusis, celle de la justice et de la paix, et ainsi, le vrai sens des mystères.49
De nombreux de ses aspects mettent la pièce en relation avec les cérémonies éleusiniennes: le lyrisme qui évoque la geste de Déméter et de Perséphone,50 la thématique de lâeidôlon introduite dans une anthropologie complexe faisant entrer en jeu divers états de lââme, la géographie éthérée du mythe de la conception et de lâenvol dâHélène. Les mystères de lâonomastique, dâautre part, précisent les circonstances conjoncturelles de lâintérêt manifesté par Euripide, dans ce drame, pour les rituels dâÃleusis. Lâécole belge, avec H. Grégoire et R. Goossens, ou des exégètes attachés à la dimension historique des oeuvres, comme Ã. Delebecque, ont justement repéré la portée, dans Hélène, des allusions faites à lâactualité, car, par nature, le théâtre grec ne se détache pas des événements contemporains.51 Effectivement, lâidée de rechercher la véritable identité de Teucros constitue une piste quâil est judicieux dâexplorer et la perception de lâimage dâAlcibiade sous les traits dâHélène apparaît comme une lecture pertinente. Mais ces remarques ponctuelles prennent tout leur sens dans une interprétation globale de lâoeuvre comme un reflet des aventures dâune Hélène dont le personnage masque celui dâAlcibiade, dénoncé par le métèque et non pas lâarcher Teucros, épargné par Théonoé, ou Théanô dans le récit de Plutarque.
Un tel mode de compréhension résout la question de lâart dramatique dâEuripide, souvent critiqué à propos de cette pièce. Car peu importe, dans lâoptique de cette oeuvre à clés, que Teucros ne fasse que passer sur la scène ou que Théonoé nâintervienne pas activement dans lâintrigue. En effet, leur présence est signifiante par rapport à une trame historique bien connue des spectateurs, et non pas dans un cadre mythologique auquel, en vérité, ils se rattachent mal. Euripide déplace lâenjeu de la représentation. Les critères habituels dâunité ou dâefficacité dramatique ne fonctionnent donc pas correctement à propos de ce drame.
Il peut paraître inouï que le personnage de Teucros corresponde à celui du dénonciateur historique dâAlcibiade et quâEuripide indique les phases dâun parcours initiatique, sous la fiction poétique du mythe fantastique de lâeidôlon dâHélène. Car il est théoriquement interdit de dévoiler le contenu des mystères. Mais Aristophane parodie ces célébrations dans les Nuées52 et Platon transpose de nombreux thèmes de la connaissance initiatique, notamment dans le mythe de la Caverne. Lâexposé formel des schémas mystériques de la pensée ne permet pas pour autant dâen saisir le sens.53 Dans son pastiche des Thesmophories, Aristophane surajoute en quelque sorte des didascalies caricaturales au texte de lâHélène en introduisant un archer gardien des mystères ou en travestissant le Vieux parent dâEuripide en une Hélène décrépie et il situe sa pièce dans lâenceinte des mystères de Déméter. Mais les masques sont difficiles à faire tomber.
Notas
1 Cf. Allan 2008: 145 commentaire aux vers 4-15.
2 Cf. Grégoire. [1950] 1973: 50, n. 1: «Protée, dans la tradition homérique, nâa point de femme ; mais comme il a une fille, il est naturel quâon lui ait cherché une épouse. Le nom de la Néréide Psamathé de ΨάμαθοÏ, « sable » convenait à la reine des phoques [â¦]. Il y avait une difficulté. Psamathé [â¦], dâaprès une tradition bien établie, était lâune des deux femmes dâÃaque. Mais rien de plus aisé que de la lui prendre: on a dû trouver que le héros dâÃgine avait bien assez dâune épouse». Selon Burian 2007: 327, Euripide aurait inventé cet épisode légendaire.
3 Hélène, v. 9-10. Sauf indication contraire, les traductions introduites dans cet article sont personnelles.
4 Cf. Grégoire [1950] 1973: 50-51, note 2: «Le nom dâEidothéê devait être suspect au spectateur et même odieux, puisquâil était celui de la criminelle marâtre des Phinéides [â¦]. De là lâemploi du diminutif ÎἰδÏ, déjà chez Eschyle».
5 Hélène, v. 588.
6 Cf. Assaël 2012B.
7 Hélène, v. 497-499.
8 Cf. Grégoire [1950] 1973: 70, n. 1: «Pearson modifie lâordre des vers dans ce passage sous prétexte que Ménélas serait un peu trop prompt à se rassurer par lâargument de la fréquence de lâidentité de noms. Il prétend que cet argument est absurde dans lâespèce, puisquâil ne sâagit pas dâun cas isolé dâidentité de noms, mais dâune accumulation impressionnante dâidentités». Allan 2008: 203 interprète la réaction de Ménélas comme lâexpression dâune ironie désabusée: «Ironically, M. solves the problem of multiplicity here by separating the name from its referent the individual man, woman, or city».
9 Les Thesmophories, v. 920-922.
10 Cf. Grégoire [1950] 1973: 17.
11 Grégoire [1950] 1973: 18.
12 Cf. Pindare, Néméennes, IV, 70 et les commentaires du scholiaste. à une époque ultérieure, les données de la légende sont reprises par Apollonios de Rhodes, I, 95; Pausanias II, 29.
13 Hélène, v. 69.
14 Grégoire [1950] 1973: 19. Par ailleurs, dans les Thesmophories, Aristophane témoigne du fonctionnement mental des spectateurs du théâtre athénien qui ont tendance à identifier automatiquement des personnages cités au théâtre avec des homonymes contemporains cf. v. 876, à propos du nom de Protée.
15 Cf. Grégoire avec le concours de Goossens 1940: 206-227.
16 Grégoire établit très difficilement une chronologie datant le décret en janvier 411, lâaccession au pouvoir dâÃvagoras à Salamine de Chypre quelques mois avant janvier 411, soit en 412 sans plus de précision, et sa réelle prise en mains de lâîle en janvier 411. La démonstration, embarrassée et peu convaincante, cherche à ajuster son calendrier de manière à ce que lâallusion au Teucride puisse concorder avec la date de la représentation de la pièce, au plus tard en avril 412.
17 Plutarque, Vie dâAlcibiade, 20, 7.
18 Sur ce personnage, cf. Aurenche 1974.
19 Hélène, v. 75.
20 Hélène, v. 923, 931, puis tout au long de la scène.
21 Sur le rite de lâexélasis au cours duquel un gardien des mystères chasse violemment les non-initiés, cf. Lucien, Alexandre ou le faux devin, 38.
22 Plutarque, Vie dâAlcibiade, 23, 6. Cf. Grégoire [1950] 1973: 17 «et nous savons de reste quâAlcibiade, le bel efféminé, était couramment comparé à Hélène».
23 Lâidentification dâAlcibiade à Hélène est ancienne dans lâhistoire de la critique et elle a créé un débat. Sur cette hypothèse, cf. Grégoire [1950] 1973: 17, n. 1 «Sâil est vrai quâil faille écarter avec Weil lâhypothèse de Hartung selon laquelle Hélène serait une allusion à Alcibiade exilé et innocent comme lâhéroïne, et tendrait par là à le faire rappeler, il nâest pas moins vrai que Hartung, esprit très ingénieux, a deviné ici une préoccupation très réelle dâEuripide». Cf. aussi Romilly 1947: 171, n. 2.
24 Cf. Delebecque 1951: 341: «il y a sans doute dans la tragédie une assimilation fréquente entre Hélène et Alcibiade. La seconde antistrophe du second stasimon prend plus de relief encore si, derrière Hélène, on aperçoit le stratège de 415 qui sâest attiré le courroux des hommes et des dieux 267-9, parce quâon lâa jugé coupable dâavoir parodié, dans sa maison des mystères interdits».
25 Vie dâAlcibiade, 23, 3. Cf. Romilly 1995: 131.
26 Euripide exploite les données mythologiques rapportées par Hérodote, selon lesquelles les dieux ont confié la véritable Hélène à Protée, souverain de Pharos afin quâil la remette ultérieurement entre les mains de Ménélas. Cf. Hérodote, II, 112-119.
27 Sur lâidentité duelle dâHélène, cf. Zeitlin 2010: 263 et n. 1, et sur lâextension partout dans la pièce de la thématique du double, cf. Burian 2007: 247 et sa note 51, avec la bibliographie.
28 Sur la valeur de lâeidôlon dâHélène dans cette anthropologie ésotérique, cf. Detienne 1957: 144-146. Sur le thème de lâeidôlon dans le mythe, cf. Kannicht 1969: 26-33.
29 Le saurien intervient dans les Nuées dâAristophane dans une scène dâagression aischrologique et scattologique intentée contre Socrate, maître de lâinitiation dont se moque Aristophane. Il représente alors lâélément central dâun mode de comique fondé sur la grossièreté et lâobscénité. Byl notamment, 1983: 109-132 a longuement et fréquemment montré ce rôle joué par lâimage du saurien dans les préludes de lâinitiation dâÃleusis.
30 Hymnes Orphiques Ricciardelli, 2000: 72.
31 Cf. Eustathe: «Ils [les anciens philosophes] disent que Protée Prôteus est la matière primordiale prôtogonos, le réceptacle des formes. Il nâest aucune des formes en acte, mais toutes en puissance: câest-à -dire les éléments auxquels il [Homère] fait allusion par le « feu », par lâ« eau », par le « serpent qui aime la terre», par « lâarbre à haut feuillage qui sâélance dans lâair »; et non seulement les éléments, mais aussi les animaux et les autres choses qui se trouvent dans lâunivers » Commentaires sur l'Odyssée, IV, 365 sqq, 1. 174. 20. cf. Delorenzo 2006-2009, Amherdt 2006: 369-372.
32 Chez les Latins, Sénèque évoque la même situation et élabore le même type de réflexion. Une mère ne réussit pas à sâarracher au sépulcre de son fils. Le philosophe lui enseigne à mépriser les ossements et les cendres et à chercher à connaître lââme qui sâest élevée loin de la souillure de toute vie humaine, parmi les Bienheureux Consolation à Marcia, 25, 1.
33 Selon Plutarque commentant la formule de Platon Ïῶμα Ïá¿Î¼Î± : « attachée au corps comme une huitre, [lââme] éprouve de la frayeur », car elle ne sait plus « de quel honneur et de quelle grandeur de félicité elle est venue » Cf. Plutarque, De lâexil, 607a-e et Platon, Phèdre, 250c.
34 Platon, République, X, 611 c-d. Sur les aspects symboliques du personnages de Glaucos, cf. Deforge 1983: 21-39 et particulièrement sa note 5, p. 39 où il établit le rapport de ces représentations mythologiques de Glaucos avec les doctrines orphicopythagoriciennes sur lâimmortalité de lââme.
35 Sur ce point, Euripide adapte les données mythologiques fournies par Hérodote aux nécessités de sa démonstration. En effet, dans le récit de lâhistorien, lorsque Ménélas aborde à Pharos, Protée nâest pas mort. Il lui remet lui-même cette Hélène que les dieux lui ont laissée en dépôt cf. Allan, 2008: 22-24; Burian 2007: 232-234. Mais Euripide a besoin de lâimage du tombeau de Protée pour suggérer lâémancipation personnelle de cette Hélène, alias Alcibiade, appelée à se régénérer en sortant du tombeau de son corps. Aristophane souligne lâincongruité du décor et lâambivalence du monument dédié à Protée en faisant corriger avec humour par un de ses personnages une citation quâil fait dâun vers de lâHélène: «Toi qui oses appeler âtombeauâ cet autel» Thesmophories, v. 888. Pour sa part, Allan signale des difficultés pour reconstituer la mise en scène 2008: 30-31.
36 Cf. Froidefond 1971: 217.
37 Cf. Hélène, v. 800. Cf. Burian 2007: 357 «For Greeks, not even the tombs of heroes would customarily have the same status as altars of the gods, or be used for refuge by suppliants. Menalausâ question is therefore natural enought».
38 Cf. Assaël 2012A. Dans le rituel dâÃleusis, lâaide dâun «ami» est indispensable pour échapper au monde des apparences. Cf. Platon, République, 514 c.
39 Cf. Delebecque 1951: 342: «à en juger par la présente tragédie, Euripide songerait dâabord à réhabiliter, comme Hélène elle-même, le proscrit: il est innocent au regard des dieux, puisquâil nâa ni mutilé les Hermès, ni parodié les Mystères. Au regard des hommes, il nâest pas la cause de la défaite de Sicile. Il a pu vouloir lâexpédition, mais la catastrophe ne lui est pas imputable puisquâon commit la faute de lui retirer son commandement avanti quâil nâait pu agir de manière efficace. Comme Thucydide II. 65; VI. 15, Euripide veut voir en lui lâhomme avec lequel lâexpédition de Sicile eût dû, normalement, se terminer par un triomphe. Mais ce nâest pas le passé qui retient lâattention du poète; il a les yeux rivés sur lâavenir, et sâil montre le retour final dâHélène dans sa patrie, câest peut-être pour suggérer aux Athéniens lâidée dâabsoudre Alcibiade et de rappeler en lui un chef et un diplomate quand Athènes en a disette».
40 Hélène, v. 822. Traduction de Amiech 2011: 31. Lâexpression signifie aussi, dans son ambivalence: «Vrai nom de prophétesse!».
41 Plutarque, Vie dâAlcibiade, 22, 5. Ce nom est attesté comme un mode de désignation courant des prêtresses, depuis lâépoque où il a désigné notamment la servante dâAthéna à Troie, selon lâIliade VI, v. 297-300 cf. Sourvinou 1988: 35.
42 Cf. Hélène, v. 1002-1003.
43 Plutarque, Vie dâAlcibiade, 22, 5.
44 Cf. Sourvinou-Inwood 1988: 30: «In Athens the demos had the authority to instruct its officials, including its priests, to pronounce public curses. This was an uncontroversial matter». Curieusement, le modèle de Théanô est recherché, à lâépoque classique, sous lâidentité dâAntigone et non pas de Théonoé: «I submit that the similarity between the two texts is due to an intertextual relationship ; the story of Theano was modelled on the story of Antigone at a time when the latter was perceived to be a âconscientious objectorâ and when the perception of the polis religious discourse and a priestessâ scope were different from those of fifthcentury Athens » 1988: 34.
45 Les commentateurs ont bien souvent critiqué lâinutilité dramatique du personnage de Théonoé, dont le rôle consiste en somme à annoncer son silence sur lâarrivée de Ménélas. Sur cette question, cf. Amiech 2011: 31.
46 Lâexposé historique de Plutarque nâest pas très net. En effet, Alcibiade revenu en grâce dans le coeur des Athéniens peu après la représentation de lâHélène, est accueilli avec les honneurs dans sa ville cf. Romilly, 1995: 191 sqq.. Le clergé dâÃleusis est appelé à se rétracter de sa malédiction. Plutarque mentionne alors le commentaire de lâhiérophante, Théodoros, qui aurait déclaré « ne lâavoir maudit que sâil avait été ocupable envers lâÃtat » Vie dâAlcibiade, 33, 3. Certains aspects de la réaction de Théodoros recoupent lâattitude de Théanô. Cette redondance encourage Sourvinou-Inwood à soupçonner le caractère fictif de la prêtresse 1988: 36-37.
47 Pippin-Burnett a initié un courant de la critique soulignant les aspects comiques de lâHélène, dans un article intitulé «Euripidesâ Helen: A Comedy of Ideas» 1960: 151-163, auquel le titre dâun chapitre de Allan apporte un écho négatif: «A Tragedy of Ideas » 2008: 46-66.
48 Tel est sans doute le sens de lâexpression Ïὴν καινὴν á¼Î»Îνην μιμήÏομαι «je vais imiter lâHélène régénérée» par laquelle Aristophane définit moqueusement la pièce, dans les Thesmophories v. 850.
49 Sur la spiritualité dâÃleusis, cf. Carvalho 1992: 131.
50 Ce point a été mis en évidence par Cerri 1983: 155-195 et 1987: 197-216. Cf. aussi Burian 2007: 237.
51 Plus récemment, Allan 2008: 4-9 a aussi souligné, dans un point important de son introduction, les liens de lâHélène avec lâhistoire et la politique contemporaines. Cf. son chapitre intitulé «Helen in its Athenian context». Mais il aborde surtout les questions concernant le pacifisme dâEuripide après lâexpédition de Sicile.
52 Cf. Byl 2007.
53 Cf. Burkert 2003: 87: «Même si nous avions un compte rendu très complet, ou même un vidéo-film comme les anthropologues modernes en réalisent pour nous documenter sur les coutumes exotiques, tout nous paraîtrait étrange, voire incompréhensible. [â¦] De fait, le secret dâÃleusis a été trahi -quelquefois de façon provocante- par Diagoras de Mélos, lâathée, qui, dit-on, le disait à âtout le mondeâ dans la rue; seul résultat: le secret paraissait sans intérêt et sans valeur».
Bibliographie
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4 Assaël, J. 2012 «Dans LâHélène dâEuripide, comment lâeidôlon rejoint lâhéroïne, au firmament», Actes du colloque international de Perpignan: Héros voyageurs et constructions identitaires, Perpignan, 21-24 novembre 2012, à paraître. [ Links ]
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20 Grégoire, H. avec le concours de R. Goossens 1940 «Les allusions politiques dans lâHélène dâEuripide: lâépisode de Teucros et les débuts du Teucride Ãvagoras», Comptes-rendus des séances de lâAcadémie des Inscriptions et Belles-Lettres, 84e année, 3: 206-227. [ Links ]
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